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Photo du rédacteurEva Baldaras

Chapitre 7 : Gigy

— Cachez-vous ! Fuyez !


Je crie à la ronde pour les derniers fantômes qui ne sont pas encore à l’abri. Le mage noir est à nos portes. Je dois vite regagner ma tombe. Je m’approche de ma sépulture. C’est là que je le vois. Enzo titube entre les tombes. Ses doigts fantomatiques effleurant la pierre comme si ses mains, autrefois expertes à manipuler les tissus et aiguilles, semblent toujours vouloir toucher les étoffes, caresser les textures. Il a tellement abusé d’élixir ce soir qu’il n’entend pas nos cris ?

Mais qu’est-ce qu’il fait, bon sang ?


Mes yeux alternent entre mon refuge et l’Italien, je soupire. Impossible de le laisser le nécromancien le capturer. Cependant, si je vole à son secours, je sais déjà que je ne pourrai pas revenir jusqu’ici. Je vais devoir nous trouver une autre cachette, à tous les deux. C’est risqué, pourtant je ne pourrai jamais me pardonner s’il était enlevé, alors que j’aurais pu le sauver.

Je m’élance et parviens devant le créateur de haute couture tandis que celui-ci baragouine je ne sais quoi dans sa langue natale. Il empeste l'élixir, et son abus a pour conséquence de le rendre nostalgique, presque triste. Il n’a pas non plus conscience du danger que nous courons.

— Venez, Enzo ! Vite, suivez-moi ! On n’a plus le temps.

— Sei affascinante, ma non voglio quello che mi stai offrendo ! (Tu es fascinante, mais je ne veux pas de ce que tu m'offres !)

Mais qu’est-ce qu’il raconte? Je comprends rien.

— Je… No hablo Italiano, Enzo. (Je ne parle pas l'italien, Enzo)

Je crois que je mélange l’espagnol, l’italien et le yaourt, tout ce que je peux mélanger en fait, toutefois l’urgence c’est de le faire bouger de là. Nous sommes une cible, là, dans l’allée. Je l'entraîne vers les mausolées, à l’opposé de l’endroit où devrait être le nécromancien. C’est notre seule chance de trouver un refuge. Inutile de sonder les tombes en chemin, on perdrait trop de temps.

— Ma dove diavolo mi stai portando ? (Mais où Diable m'emmènes-tu ?)

— Je io no comprendo italiano, bon sang ! Enzo, reprenez- vous ! On va mourir si vous continuez. (Je ne comprends pas l'italien,)

— Mourir ? Hum, je ne voudrais pas vous choquer, madame, mais nous sommes déjà morts. Que voulez-vous qui nous arrive de plus ?

Mais c’est pas vrai !

Je me frappe le front en grognant.

— Vous n’avez rien écouté de mon discours de bienvenue ? Celui dans lequel je vous mettais en garde contre le nécromancien qui habite à côté ? Celui qui a le pouvoir d’absorber notre énergie jusqu’à nous réduire à néant ?

Je le vois blêmir un peu. Ah !

— Hum, eh bien, il y avait toutes ces femmes, ces belles femmes qui…

— Oui, oui, on a compris, les Italiens et les femmes ! Mama mia ! Toujours est-il que le nécromancien est en chemin, on doit se planquer, et vite !


Je tire sur sa main et me hâte vers le sud du cimetière. Je passe la tête à travers de chacune des portes que nous croisons en chemin, mais de nombreux fantômes ont eu la même idée que nous et les tombeaux sont pleins. Je commence à désespérer de trouver un endroit où nous mettre à l’abri. Retourner dans ma tombe serait une pure folie.

— Ah ! Alors, vous essayez de trouver un endroit où nous cacher ? Pas…

— Bien sûr ! Qu’est-ce que vous croyez que je fais ?

— Eh bien, comprenez-moi. Vous vous êtes jetée sur moi, vous m’avez dit de vous suivre, qu’on devait se dépêcher… Qu’il fallait pas qu’on nous voie, qu’on n’avait plus le temps… j’ai cru que vous vouliez… Hum. Vous voyez ?

Il se racle la gorge, mal à l’aise, la voix tout à un coup peu sûre. Je m’arrête et dans son élan, il manque de me traverser.

— PARDON ? crié-je.


C’est plus fort que moi. J’essaie de lui sauver sa non-vie, et monsieur se permet d’insinuer que je l’ai attiré sous un prétexte fallacieux. Non mais je rêve !


Le crissement des pas qui résonne dans le vent me fait revenir à l’urgence de la situation. Je pivote puis avise les options qui nous restent.


Soit on essaye de trouver une place dans un des mausolées blindés, soit on se blottit derrière l’autel en marbre de la chapelle. Impossible de s’enfouir sous terre. Il n’y a que dans les tombes que notre halo est invisible. Les caveaux les camouflent, or la chapelle n’a pas de porte. Nous serons plus exposés. Cela dit, nous ne serons que deux. Si on se serre derrière l’autel, on passera un peu plus inaperçus que la dizaine de fantômes entassés dans le tombeau voisin. Va pour la chapelle.


Je m’y précipite, Enzo me suit sagement.

— N’allez pas imaginer que je vais vous épouser. On se cache, on se fait tout petits et on prie pour que le nécromancien ne vous perçoive pas. Allez hop ! Là, derrière.


Nous nous recroquevillons derrière le marbre, essayant de dissimuler notre lumière. Mon compagnon d’infortune se fait plus silencieux. Il a perdu de sa superbe et ses mèches autrefois bien coiffées en arrière sont maintenant plus anarchiques, tandis que sa belle cravate de soie a disparu. Ça lui donne une allure un peu dépenaillée mais plus naturelle en un sens.


Je me penche pour essayer de voir ce qui se passe. De notre cachette, nous avons vue sur le cimetière. J’en connais chaque allée, chaque tombe par cœur. Je cherche où se situe la menace et mon cœur se serre quand je vois le nécro s'arrêter devant la tombe de Finlay.

Ce serait tout de même inoui que la seule et unique fois où ce dernier sort de sa tombe, ce soit pour tomber dans les filets du mage noir.


Lachlan tourne la tête à droite, à gauche, il la penche, comme à l'affût. Je reprends mon souffle lorsqu’il se remet en marche. Mon cœur semble battre à tout rompre, alors que c’est impossible. C’est fou le pouvoir qu’a l’esprit. Je suis des yeux la progression du nécromancien dans les allées. La main parallèle au sol, doigts écartés, il sonde les environs à la recherche de ce dont il a besoin : de l’énergie spectrale.


Il a visiblement prévu une grande dépense de pouvoir ce soir, car il est là pour faire le plein, comme s’il cochait des cases sur une liste de courses. Nous ne sommes que des ingrédients, qu’il garde sous le coude, assimilant le cimetière à son garde-manger magique personnel.


C’est là que je les aperçois: il traîne dans son sillage deux âmes perdues, emprisonnées dans un filet énergétique noir. Les miasmes néfastes qui s’en échappent m'empêchent de bien identifier les victimes. Les fantômes sont constitués d’énergie, et quoi de mieux pour contenir une énergie qu’une énergie magique plus forte ? Les captifs n’ont aucune chance de s’en sortir.


La main de Lachlan s’agite encore. Mon cœur sombre dans ma poitrine lorsque j’aperçois, dépassant du mausolée voisin, un bout de robe spectrale. Une robe que je connais bien pour l’avoir souvent admirée sur Nora. Le tissu semble frissonner tant elle tremble de peur. Lachlan, lui, sourit, ravi de sa trouvaille. Mon amie a beaucoup échangé avec nos invités, malgré sa timidité, si bien qu’elle resplendit. Il s’apprête à lancer son filet de magie noire à travers le mur du mausolée, il pourrait même en prendre plusieurs à la fois. Si sa robe dépasse, c’est qu’ils doivent se presser à l'intérieur. L’horreur me glace. Je ne peux pas la laisser disparaître.


— Nora ! Fuis !


Les mots fusent hors de ma bouche. Les doigts ectoplasmiques d’Enzo se posent sur mes lèvres pour me faire taire. Trop tard. Lachlan se tourne vers nous. Les cailloux des allées bruissent sous ses bottes cirées tandis qu’il s’approche de notre abri dérisoire.


Serrée dans les bras d’Enzo, la joue pressée sur sa chemise haute couture, j’attends que le couperet tombe, que les mailles m’emprisonnent. Dans un sursaut de conscience, je tente de me dégager de l’étreinte de l’Italien pour lui laisser une chance de se cacher, mais il ne me laisse pas faire.


Le filet s’abat sur nous. Je sens la magie noire œuvrer. Mes forces m’abandonnent, je me sens faible. Une larme coule sur ma joue glacée. Les doigts d’Enzo la recueille avant de la boire. Il me lance un sourire triste.


La magie nous tire vers le mage de la mort. Ses yeux brillent de gourmandise tandis qu’il inspecte sa prise.


Je ne verrai jamais Fin. Parce que je n’en aurai jamais le temps.


Cette pensée atroce me dévore toute entière. Je souffre tellement à cette idée, que j’ai le sentiment de me désintégrer.


Puis, je ravale ma tristesse et reprends du poil de la bête, d’un seul coup, tandis que Lachlan parle :

— En voilà deux bien juteux ! Avec les deux déjà dans mes filets, il ne me manque plus qu’un seul esprit et je quitterai ces lieux.


Mes sourcils se froncent, alors que je cherche à comprendre le sens de ses paroles. Il me regarde avec un sourire malsain qui me fait froid dans le dos. Mes yeux s’écarquillent d’horreur quand, derrière lui, j’aperçois mon amie être vivement éjectée du mausolée.


— Nooon ! Nora ! Vole, fuis ! Ne reste pas là, je t'en prie.


Je hurle, je m’époumone. En vain. Elle est tétanisée de peur. Ses grands yeux bleus reflètent l’horreur qui se rapproche d’elle. Le nécromancien a jeté son dévolu sur sa proie. Mes cris sont restés sans effets. Pire encore, ma tentative de la sauver a entraîné ma capture ainsi que celle de notre invité de prestige. Les mailles noires l'emprisonnent à son tour puis notre geôlier reprend le chemin de sa demeure en sifflotant.


Le poids de l’impuissance me frappe tel un coup de poing. J’ai l’impression qu’une force surnaturelle cherche à m’étrangler. C’est peut-être le cas. Je regarde Nora. Son visage est marqué par la peur et l'incompréhension. Ça m’arrache le cœur. L’angoisse roule dans mes entrailles quand je réalise que nous sommes liées dans ce cauchemar.


Je me bats contre les chaînes invisibles qui m'entravent. La panique menace de m’engloutir. Comble de l’horreur, mon palpitant va mourir définitivement.


Désormais, Fin sera seul, cette fois. Il tombera dans l’oubli, définitivement.

Je ne le verrai jamais.

Mon cœur virtuel se brise, mon âme suffoque.


Je sais maintenant que Fin a beaucoup plus de signification pour moi qu’un simple ami.

Il est un être qui aspire mon âme en entier, pour l’unir à la sienne.

Ces pensées me rendent folles de désespoir. J’ai envie de hurler de douleur…


— La récolte a été bonne cette année, je vais me régaler ! commente Lachlan. Et vous, mes petits, vous allez me donner assez de pouvoir pour m’assurer une victoire écrasante.


Tandis qu’il nous emporte dans la cave de son manoir et nous jette dans une cellule, il nous détaille par le menu ce qu’il a prévu. Si ses invités de marque pensent qu’il leur prépare un spectacle pour les divertir, ses projets sont bien plus néfastes. Il a l’intention de se débarrasser de certains des surnats les plus puissants, ce qui lui assurera une élévation dans la hiérarchie. Et pour ça, il a besoin de pouvoirs…


Il a besoin de notre énergie vitale. De désespoir, je me jette sur la grille dans une tentative de fuite. Une tentative qui s'avère aussi vaine que douloureuse quand le sortilège qu'il a placé là me repousse violemment.


Nous sommes tous pris au piège.


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