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Chapitre 2 : Finlay (Fin)

Photo du rédacteur: Eva BaldarasEva Baldaras

Le vent siffle et bouscule les feuilles mortes autour de ma tombe. Les branches des arbres grincent et craquent. De temps en temps, le hurlement d’un animal nocturne perce le silence de cette nuit calme.


Enfin, calme. Relativisons. Le cimetière est en ébullition, me troublant dans ma quiétude. 


Ai-je demandé aux autres occupants de me déranger ? Non.

Ils s’en foutent de ce que je peux ressentir.

Tous des égoïstes.


Ce soir, ils se sont mis en tête de finaliser la fête de Samain. Un évènement spécial où des esprits d’ailleurs vont venir célébrer leurs morts. En quelque sorte. Une connerie, si vous voulez mon avis.


Qui a besoin de partager des souvenirs de sa vie passée ? De consolider des liens, pour renforcer un sentiment d’appartenance et de communauté des fantômes ? Qui a l’idée stupide d’établir des rituels de réconciliation en échangeant des phrases pour apaiser des conflits non résolus et nous permettre d’accéder au Paradis ?


Réponse en deux mots : pas moi.


Moi, je reste caché là, dans ma tombe. J’écoute tout, mais je ne participe jamais. Cela a au moins le mérite de me faire passer le temps.


Et puis, il y a elle. Encore et toujours elle ! La fantômette, avec sa voix stridente, qui ne cesse de me harceler chaque soir pour que je les rejoigne.


Ai-je demandé qu’on me fasse la conversation ? Non.

Je fais ce que je veux, quand je veux. 


Parfois, je sors. Mais, personne ne me voit. Jamais.


Parce que je suis invisible aux yeux des autres.

Seul ma photo témoigne de mon visage, sur ma sépulture. 


La voix de Gillian Innes, surnommée Gigy par ses copines et Fantômette pour moi, résonne dans l’air froid.

— Hé, toi là-dedans ! Tu vas jouer aux ermites longtemps ? Tu vas rester au fond de ton trou cette année encore ?

Elle s’impatiente. De plus en plus.

Ses paroles me donnent mal à la tête, même si dans l’absolu, je ne ressens plus rien puisque je n’ai plus de crâne. Depuis combien de temps me harcèle-t-elle ? Des jours, des semaines, des siècles ? Je l’ignore. Ce que je sais, c’est qu’elle représente ma perturbation constante. Une tornade dans notre monde paisible.

— Sérieusement, Fantômas, on est tous curieux de savoir qui tu étais de ton vivant.

Un sourire étire mes lèvres. Elle emploie ce surnom dès qu’elle arrive au bout de ses limites. Son agacement est perceptible. Ça m’amuse.

— Pourquoi tu ne sors jamais, hein ? Aucun fantôme ne reste caché aussi longtemps ! Sérieux, Fin…

Une tristesse inopinée me serre le cœur qui ne bat plus et me rend nostalgique.

Je soupire intérieurement. Je ne sais pas qui j’étais. J’ai tout oublié, y compris la façon dont j'ai trépassé. À quoi bon sortir ? Et quoi leur raconter ? Je ne me souviens que de mon nom, et encore, c’est parce que je l’ai lu sur ma sépulture.

— Allez quoi, sois sympa ! Si tu décides de rester cloîtré, dis-nous au moins comment tu es mort !

Elle insiste, comme toujours. Affichant une curiosité maladive à chaque fois. Chaque nuit. Je peux vous dire qu’elles sont très longues. Et elles ont déjà été nombreuses.


Je serre les dents. Je n’en peux plus. Pourquoi ne peut-elle pas me laisser tranquille ?! Pourquoi ne peut-elle pas comprendre que je préfère rester seul, loin de cette agitation superflue ?

Inutile qu’elle me rappelle mon vide intérieur.


— Gigy, arrête d’insister, tu n’es pas son genre, se moque Nora.

— De toute façon, il ne ressemble certainement plus à la photo de sa pierre tombale, ajoute Margaret.


Je cligne des yeux, sentant quelque chose remuer en moi. Mon esprit imagine la Fantômette flotter avec cette grâce désinvolte qu’elle affiche à chaque fois que je sors et qu’elle ne me voit pas. Gigy semble toujours rayonner d’une énergie que je ne comprends pas. Elle parle sans cesse. Un flot ininterrompu de questions, de rires, de discussions à n’en plus finir.


Quelque chose dans son insistance, sa vitalité, me fascine.


Elle me paraît différente des autres fantômes. De ceux qui errent comme le vieux Charly, à ressasser les circonstances de sa mort, éternellement. Ou de ces autres qui attendent qu’elle apaise leurs conflits intérieurs non résolus. Ils espèrent la voir chaque nuit, pour ne plus être seuls. Elle, elle vit encore d’une certaine manière. Si pleine de mouvement, comme si le passage dans l’au-delà n’avait pas réussi à l’éteindre. Je ne sais pas pourquoi, à chaque fois que je sors, je reste près d’elle, juste pour la regarder parler.


Peut-être est-ce la manière dont elle vole au-dessus des pierres tombales ? Légère comme une plume, aérienne, comme si rien ne pouvait la toucher.


Ou peut-être est-ce son sourire, insolent et doux à la fois, qui me fait… j’en sais foutre rien.


Ce qui me trouble le plus, c’est la façon dont elle discute avec moi. Elle ne m’a jamais vu, à part sur la photo plaquée sur ma sépulture. Pourtant, elle continue à m’appeler, à me chercher, ne lâchant jamais prise.


Quand elle me parle, j'ai le sentiment d'être… présent. Comme si, pour un instant, j’existais pour quelqu’un, alors que je suis invisible. Que je n’ai pas d’histoire. Que je n’étais et ne suis personne. Une frousse monumentale m’assaille.


 Pourquoi j’ai pensé ça, moi ? Me sentir vivant ? Conneries ! Je suis mort !


Je me mords la langue pour arrêter mes idées incongrues, même si je n’ai plus de langue depuis longtemps.


Cette fantômette est une plaie, qui m’emmerde de plus en plus. La voilà, la vérité.


Je l'entends soupirer de lassitude. Mon sourire s’élargit automatiquement.

— Bon, fais ce qui te chante ! Mais sache que Enzo fera partie des invités cette année. Oui ! Ce créateur haute couture italien dont je t’ai parlé l’autre jour. Maintenant, c’est son fils qui a repris le flambeau. On se connaissait de mon vivant, tu sais ? Enfin connaitre c’est un grand mot. On s’est croisé quand j’ai travaillé sur un de ses défilés. J’espère qu’il se souviendra de moi ! J’ai tellement hâte de le revoir ! Il est trop séduisant ! Grand, élancé, élégant…


Elle soupire. Un truc me pince à l’endroit où pourrait se cacher mon estomac. Je déteste déjà ce fantôme. Et je ne comprends même pas pourquoi.


Gigy lâche un petit rire. Je tends l’oreille. Parce que je n’ai rien à faire, sûrement.


Soudain, les voix s’éloignent. J’en profite pour me glisser hors de ma tombe. Non pas que je risque d’être surpris, comme je l’ai déjà dit, je suis invisible aux yeux des autres ici. Sinon, je n’entendrais pas la suite de ce qu’elles vont se raconter. Parce que je n’ai pas d'occupation.

Je flotte jusqu’à Gigy et m’assieds à ses côtés. Mon halo n’est plus lumineux depuis longtemps et je sens qu’il s’appauvrit sans cesse. En raison du manque d’interactions avec les autres…

Personne ne peut me voir. Et c’est mieux ainsi.


Un mouton passe tranquillement dans le cimetière, broutant l’herbe entre les pierres tombales. Ses yeux noirs semblent me scruter un instant. Je sursaute presque. Il bêle. A-t-il la capacité de me voir ? Gigy dévisage l’animal, puis semble me fixer. Son regard pénétrant et hypnotique me paralyse. Je suis incapable de bouger. Ses yeux picotent les miens comme des milliers de petites aiguilles. La manière dont elle m’observe me fait sentir… vivant. Des sensations inédites et très bizarres naissent à l’endroit de ma poitrine. Je les chasse d’un coup d’esprit.

Elle se rapproche de moi, mon souffle se bloque. Je pourrais presque la frôler, la traverser. Pendant un moment, je me demande si elle sait que je suis à ses côtés.

Si elle me voit.

Finalement le mouton détourne la tête puis continue sa route. Ma voisine en fait de même.

Soulagé, je ferme les paupières puis soupire longuement.

C’est mon secret : la contempler à la dérobée. Ça me suffit.


— Est-ce qu’on a compté toutes les tombes disponibles depuis hier ?  demande-t-elle aux autres fantômes. On doit être prêts pour accueillir nos invités.

Son ton directif m’offre un frisson si intense que j’en suis moi-même surpris. Sincèrement, j’ignore ce qui m’arrive. Sa proximité et sa beauté mortelle m’électrisent. Ses cheveux translucides ondulent comme des fils d’argent sous la lumière pâle de la lune. Son visage est flou, mais lumineux. Elle est sublime.

Je soupire, le cœur lourd sans en connaître la raison.

— Oui, mais il en reste encore quelques-unes près des cryptes, explique Margaret.

Je les écoute parler du recensement des sépultures, du buffet éthéré qu’ils prévoient pour nos invités. Cela me semble tellement futile ! Chaque année, c’est la même rengaine.


Et chaque année, je suis à l’écart. Oublié.


Leurs rires, leurs conversations ne m’atteignent pas vraiment. Je ne fais pas partie de leur monde, même si je suis maintenant parmi eux.

Je détourne les yeux vers la maison du nécromancien au loin. Un bâtiment sinistre, qui domine l’horizon. Un frisson de je ne sais quoi me traverse à chaque fois que je le regarde. Construit en pierre noire, il paraît avoir été sculpté à même la roche la plus froide d’Écosse. Ses murs sont si sombres qu’ils absorbent la lumière de la lune. Ses fenêtres sont hautes, étroites et obscurcies par des rideaux épais. À l’intérieur, des vagues lueurs rougeâtres vacillent. Autour de la maison, des arbres sans vie se penchent. Il y a quelque chose de profondément perturbant dans cette maison. Une présence palpable qui fait frissonner quiconque l’observe.


Sauf moi. Rien ne me fait peur. Je suis déjà mort, de toute façon.


Et, puis je l’entends à nouveau. Elle. La fantômette. S’adonnant à son sport favori : parler.

— Ah, je suis tellement excitée de revoir Enzo ! Il a prévu un défilé fantomatique. Vous verrez, il est incroyable !

Je sens une lame de couteau me transpercer le cœur. Si tant est que j’en possède encore un. Enzo, ce fantôme venu d’un autre monde, d’un autre temps. Un créateur de haute couture ?

Et moi, qu’ai-je à offrir ? Je n’ai pas de métier, pas même une identité à revendiquer.


Je ne suis rien. Juste une ombre dans un cimetière abandonné, qu’aucun touriste ne souhaite visiter.


Un étrange frisson me traverse. 


Je suis jaloux… merde alors.


Gigy éclate de rire. Sa voix fait vibrer mon esprit. Puis, elle s’éloigne de moi, laissant mon vide intérieur devenir glacial au fur et à mesure qu’elle disparaît dans l’obscurité avec les autres.


Elle préfère Enzo. 


Plus envie de les suivre.


Je ne comprends pas ce qu’il se passe chez moi.


Peut-être est-ce la première émotion claire que je ressens depuis des siècles…

Foudroyé par une certaine confusion, je soupire.

Dans le noir du cimetière, mon attention se déporte soudain vers la maison du nécromancien, le cœur alourdi par le mystère qui encercle mon histoire et me ronge. C’est bizarre, je perçois une connexion familière avec cet endroit.


Je ne comprends pas.


Le vieux Charly passe devant moi, en se parlant à lui-même, indifférent à tout. Il n’a pas remarqué qu'ils étaient tous partis.


Sans tarder, je me téléporte devant l’entrée de la bâtisse du nécromancien : une vieille grille rouillée l’entoure. Pour moi, ce n’est pas un problème, je traverse tous les objets. Mais je reste sur place, observant une pancarte accrochée à la poignée du portail, que je lis :


Domaine de Sir Lochlan MacTavish

Réception de Samain

soirée du 31 Octobre 

(Parking à droite de la demeure)


Je lève mes prunelles. Le toit en ardoise est presque invisible. Une cheminée tordue s’y trouve, tels des doigts crochus tendus vers le ciel. Un corbeau perché sur cette dernière fixe le cimetière en contrebas avec ses yeux perçants.

Puis, mes paupières se referment. Une pensée ancestrale allume mon esprit.


« C’est un lieu où les morts ne trouvent jamais de repos. Un endroit où des rituels se pratiquent. Et où le temps semble se courber sous la volonté du Maître. N’oublie jamais ça, Finn. »


J’écarquille les yeux. Mon cœur inexistant s’emballe et mes jambes fantômes tremblent.

Comme si j’étais vivant. Comme si je connaissais cet endroit.

Comme si…


Je ne comprends vraiment pas ce qu’il se passe chez moi, en ce moment.


Mes paupières s'effacent, puis je disparais aussi vite que je suis venu.

Pour vérifier que Gigy a bien rejoint sa tombe.

Juste avant de rentrer dans la mienne.  

À côté de la sienne. 


NB : Enzo est le père décédé de Enzo Forza, personnage principal masculin de "mon faux fiancé et moi" de Eva Baldaras, paru aux éditions Alter Real


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